Arts Plastiques

Résumé questions limitatives Véronèse

20 / 12 / 2014 | François Miquet

RÉSUMÉ DE LA RÉUNION CONCERNANT LES QUESTIONS LIMITATIVES DU BACCALAURÉAT

Questions et remarques diverses :

⁃ Des livrets du CNDP sont parus au sujet de Kawamata, Courbet et Duchamp.
⁃ Les questions limitatives sont toujours à mettre en tension avec le questionnement « Faire oeuvre », qui engage les processus créatifs de manière globale et pas seulement la création d’une œuvre d’art.
⁃ Dans le cadre de l’option facultative, il faut garder à l’esprit qu’il doit toujours y avoir une attention portée au projet de l’élève.
⁃ L’inspection souligne la volonté de faire un appel à contributions : les profs d’arts plastiques qui le souhaitent peuvent déposer leurs réflexions (écrits, diaporamas...) sur la rubrique du site disciplinaire. Pour ce faire, ils peuvent transmettre leurs contributions aux inspecteurs.
⁃ De même, si l’on a une idée de « petite animation de bassin » (réfléchir à une thématique ou question en petits groupes pour faire avancer les élèves), on peut en faire part à Isabelle Herbet.
⁃ Jean-Luc Beltran travaille actuellement sur le thème « Architecture et numérique » : les professeurs de l’académie qui auraient déjà travaillé là-dessus peuvent envoyer des éléments à jean-luc.beltran@ac-creteil.fr
⁃ Les inspecteurs rappellent également l’importance de la formation continue et la nécessité de s’inscrire sur Gaia, lorsque les serveurs ouvrent.

Rappels concernant l’option arts plastiques au baccalauréat :

Résultats de la session 2014 :
> moyenne de l’oral pour l’option de spécialité : 14,45
> moyenne de l’oral pour l’option facultative : 14,44

⁃ Il s’agira encore cette année de se montrer bienveillants avec les élèves.
⁃ Il faudra, en tant que membre du jury, bien noter l’ensemble des critères concernant la partie entretien qui se divise en deux : entretien lié au dossier/4 et entretien lié aux connaissances artistiques et culturelles/4.
⁃ Il est également nécessaire d’être attentif au niveau de langage des élèves, de la maîtrise de la langue. Elle doit toujours être au centre du projet de l’élève.

Paolo Caliari, dit Véronèse, fresques de la villa Barbaro à Maser (1560-1561)
Oeuvres de référence pour l’option facultative

Le contexte :

Cette villa, conçue par deux monuments considérables du XVIè siècle renaissant, Palladio et Véronèse, pose la question de la référence historique. La villa Barbaro émerge en effet dans un contexte humaniste et à partir d’une vision qui en est issue ; d’où la nécessité d’étudier la question de l’humanisme à la fin de la Renaissance. Le Palladio et Véronèse sont les héritiers du grand projet de la Renaissance : dans l’accord amical qui a été le leur, ils ont d’une certaine manière accompli l’humanisme sur les terres de la Vénétie.

C’est en tenant compte des spécificités de la situation vénitienne par rapport au reste de l’Italie que ce projet prend corps : Venise se nourrit en effet d’influences orientales et byzantines, témoigne d’un goût prononcé pour le spectacle des textures et du coloris, et affirme son autonomie : sa situation entre la Lagune et la terra ferma l’incite à revendiquer une autonomie de la question humaniste, en décalage avec Florence.

Le concile de Trente a eu lieu. C’est une époque qui pressent qu’elle est en train de laisser la place à une autre. La grande propagande théâtrale baroque est en train d’arriver. Cette villa est le signe d’une époque qui se sent aller vers son achèvement. Elle est en effet comme un accomplissement humaniste anti-baroque : c’est un contresens d’affirmer que les grandes fresques en trompe-l’oeil qui la parent seraient des théâtres pré-baroques. Ces trompe-l’oeil qui ouvrent sur l’extérieur ne sont pas destinés à opérer une séduction.

Les commanditaires :

Les grandes familles qui commanditent une villa en dehors de Venise concrétisent par là une volonté de se mettre à distance, en se situant dans le champ d’un principe philosophique : celui de se mettre en retrait pour une contemplation philosophique. Les frères Barbaro, commanditaires éclairés de cette villa, sont dans une connivence intellectuelle avec l’architecte et le peintre. Daniele Barbaro, notamment, a déjà produit des commentaires humanistes, en latin, à propos des Dix livres d’architecture de Vitruve. Or, Palladio place les principes d’architecture de Vitruve au centre de ce qu’il veut reconstruire en plein 16è s.

Palladio et la villa palladienne :

La villa palladienne se veut être une démonstration pour les possédants qui revendiquent d’appartenir aux arts éclairés. De manière générale, la villa vénitienne est un système de citations et de références.

NB : cette question de la référence peut être posée aux élèves, eux qui doivent nourrir leur pratique en partie à partir des questions limitatives : que peut-on faire de la référence ?

Palladio, qui se trouve à un moment de maturité dans la compréhension des problématiques architecturales, revendique justement de ne pas faire une énième variation des villas à l’antique. Il opère de nombreux partis pris pour montrer qu’il est un architecte de l’efficacité, et prend en compte les souhaits des commanditaires : la villa est notamment efficace, dans son architecture, pour surveiller les allées et venues dans ce domaine agricole.

Situation géographique :

La villa Barbaro est adossée à la pente finissante des Alpes italiennes et au-devant d’un paysage qui s’ouvre. Or, pour les commanditaires comme pour Palladio, se situer dans un intervalle entre une nature qui s’ouvre et une nature qui se termine a un sens très fort.

Le bâtiment et sa symbolique :

L’avant-corps, qui dépasse les deux ailes, est occupé par un salon cruciforme (la crociera), formalisant ainsi l’union des contraires. Le thème central de cette villa est l’harmonie, notamment du point de vue de la mesure (symétrie) : l’ordre prévaut sur le risque de désordre. Elle accomplit ainsi un pan de l’humanisme qui veut résoudre l’opposition harmonique entre les contraires, faire coïncider les contraires pour qu’un ordre harmonique règne entre la nature et la culture.

Le thème harmonique y prévaut également dans son sens musical : il est repris tant dans l’architecture que dans les peintures de Véronèse (qui reprennent de nombreuses figures musicales). La musique est en effet conçue comme un lieu humaniste de la correspondance entre les arts, une forme artistique qui confère l’harmonie entre les hommes et entre les arts. Ce principe est réellement opérant dans cette villa.

Par cette villa, ses concepteurs revendiquent l’amitié au sens grec (philia) comme thème humaniste : les liens entre l’artiste et son commanditaire ne sont pas hiérarchisés. De même, Palladio et Véronèse réalisent, au sein de la Villa Barbaro, un accord non hiérarchisé entre les arts. L’amitié traverse ainsi cette apothéose de la pensée humaniste. Par exemple, l’autoportrait du Véronèse, à l’extrêmité de la partie est, fait face au portrait de sa femme Elena Badile, à l’extrêmité de la partie ouest. Cet autoportrait signe d’ailleurs la figure du peintre comme portant le projet humaniste de la villa.

La fresque du salon de Bacchus :

Bien que Bacchus représente l’ivresse, l’hybris (perte du contrôle sur les passions), il est accompagné d’un orchestre qui vient redonner l’harmonie vibrante.

Salon de la crociera :

Le néo-platonisme et le néo-pythagorisme sont en permanence dans le projet de la villa. A la Renaissance, qui est dans sa transition, on est à la recherche d’une relation entre le christianisme et un héritage de l’Antiquité qui soit à même de soutenir la compréhension morale du christianisme. Le programme iconographique du Véronèse est justement compris dans cette articulation entre un contexte chrétien et la volonté de faire assumer une vertu morale par le biais de l’héritage antique.

Des musiciennes peintes parent chacune des portes (vraies ou fausses), munies d’instruments en vogue à l’époque. Elles se font les symboles des arts et de l’harmonie.

Salon de l’Olympe :

Pièce-clef de cette villa, ce salon manifeste le triomphe de l’harmonie : la figuration centrale est celle de l’apothéose de la sagesse ou de la vérité, figure doublée de la Vierge de l’apocalypse, trônant sur un dragon (symbole des forces plutoniennes, eaux infernales, reliées directement au fait qu’elles sont maîtrisées par un ordre harmonieux, apollinien). Cette dernière représente tant la dysharmonie que l’avènement de la vérité : sa présence permet de révéler les signes. Superposée à la figure de la sagesse, cette vierge apocalyptique, celle de la fin des temps, rejoint la conception de Venise qui s’est toujours vue comme le bout de quelque chose : que peut-on léguer aux générations suivantes, dès lors que l’on ressent qu’un monde ordonné est sur le point de se défaire ? Le salon de l’Olympe combine véritablement sagesse/vérité et vierge apocalyptique comme des calques.

Autour de cette vierge, on trouve des figures divines, allégories planétaires, qui rappellent l’importance de la pratique astrologique à cette époque : regarder le mouvement des astres peut permettre de comprendre le passé et le futur. Ces figures peuvent se faire allégories de l’abondance, de la fertilité, de l’amour ou encore de la fortune.

En haut, des lunettes représentent les saisons du printemps et de l’automne. Quant aux fresques de paysage, elles ne remplissent pas seulement une question ornementale : le fait de se promener dans le paysage constitue avant tout une promenade de sagesse, au dedans, comme au dehors. Par ailleurs, ces paysages sont occupés par les ruines. Ces vestiges signalent le fait qu’il s’agit de lieux de mémoire, notion qui emplit la villa Barbaro.

Conclusion :

Tout est ici le lieu d’une relation d’estime et de compétences échangées entre les protagonistes de la villa. Ces derniers visent à une correspondance et non pas à une hiérarchisation entre les arts et les moments de l’art. Contrairement à la question qui animait le Paragone (parallèle entre les arts qui comparait leurs mérites respectifs, justifiant ainsi leurs places respectives les uns par rapport aux autres), on sent ici le souhait de se déplacer par rapport à la comparaison polémique : il s’agit ici d’une synthèse vibrante, et non pas d’une comparaison réciproque entre les arts. Dans cette villa, l’art est d’abord au service du triomphe de ce qui n’est pas discordant.

 
Directeur de publication :
Brice Sicart
Secrétaire de rédaction :
François Miquet